Une chouette initiative de Mélanie Lafrenière : nous poser des questions les uns les autres, entre nous, les faiseurs d'histoires. Ca donne des trucs vraiment chouettes, venus de tous horizons et de toutes personnalités.
Voici les questions posées par Sophie Trouffier à votre Kiki :
Comment es-tu venue à l'écriture ?
Je suis venue à l'écriture tout naturellement, à force d’aimer terriblement, maladivement, follement la lecture. Glisser de l’un à l’autre, c’est comme être gourmand et se mettre à la pâtisserie… Enfant, adolescente, j’écrivais la plupart du temps pour mois seule, en gloutonne égoïste, l’idée de faire goûter aux autres est venue plus tard. Plus sérieusement, lorsque j’étais orthophoniste, j’avais souvent du mal à trouver des textes adaptés pour mes petits patients dyslexiques : ils étaient trop grands pour lire des histoires faciles, peu denses, avec un vocabulaire simple. J’ai dû leur faire des textes « sur mesure ». De même, ma première « vraie » histoire, « la tétine de Nina a été écrite pour mes petits accros à la tétine
Boulot, albums, famille... Mais comment arrives-tu à tout faire ?
En fait, l’écriture est le moyen que j’ai trouvé pour rester une rebelle, je suis une espèce de punk pour les maternelles, une hell’s angel des cours de récré : je refuse de m’ennuyer. Je suis révoltée à l’idée de perdre des petits morceaux de ma vie. Alors, quand j’ai un moment pénible et inévitable à traverser : réunion blablateuse, queue au supermarché, embouteillage, je me mets en mode « histoire ». Je construis, j’échafaude, je pars à l’aventure. J’ai appris à hocher la tête à intervalles réguliers, à lâcher des « Mmmm, très intéressant » et à sortir ma carte bleue en quasi hypnose. Lorsque je rentre chez moi et que je m’assois devant mon ordinateur, le texte est quasiment terminé. Ou alors, l’idée était parfaitement farfelue, je l’ai abandonnée mais j’ai traversé l’épreuve sans dommage et c’est toujours ça de pris. C’est pour cela que j’écris peu de romans : cela me demanderait de rester véritablement devant ma table de travail durant des heures. Ce sera pour plus tard, lorsque j’aurai plus de temps à moi ou lorsque j’aurai une maison et des enfants autonettoyants.
Il est dit sur le net que tu as écrit pour ton chat ?! Cela m'a beaucoup amusée mais j'aimerais en savoir plus sur ce mystérieux ouvrage pour félins !
C’est une histoire familiale. Mes enfants m’ont fait remarquer un jour que j’avais dédié des histoires à tous les membres de la famille, sauf au chat. Comme nous étions les esclaves d’un animal totalement maniacodepressif, nous avons pris l’habitude d’excuser ses sautes d’humeurs en raison de ses démêlés avec le « Plus Méchant Hamster Du Monde », sorte d’ennemi héréditaire qui causait bien des malheurs à notre pauvre matou. On doit en être à environ 800 épisodes. Il y a eu « le plus Méchant Hamster du Monde a planqué les croquettes de la Lolotte », « Le Plus méchant Hamster du Monde a piqué le chéri de la Lolotte », « Le Plus méchant Hamster du Monde a posé un lapin à la Lolotte »…
Tu écris pour la jeunesse, tu es maman et tu es aussi documentaliste... Tu n'as pas envie, parfois, d'écrire aussi pour les grands ?
Si, si ! Je le fais, régulièrement, par plaisir et par amitié (dans la revue « les refusés http://lesrefuses.free.fr/: », sous différents pseudonymes). Mais franchement, c’est trop facile ! Trop trop fastoche : on a envie de dire quelque chose, paf, on le dit, avec les mots qu’on veut, les structures de phrase dont on a envie, les ellipses qu’on désire, on peut faire des allusions et se douter qu’elles seront comprises, user de références, être immoral, trash, écrire des gros mots, parler de sexe, inventer des fins atroces... Alors, évidemment, écrire de BONS textes pour adultes, ça doit être autre chose, mais écrire pour adultes, par rapport à l’écriture pour enfants, c’est l’équivalent de la ceinture jaune au judo… Comment ça, ce que je dis n’engage que moi ?
Waouh, tu as une sacrée collection à ton actif, où trouves-tu toujours de nouvelles idées ?
Lorsque je termine une histoire, je suis en quasi dépression : voilà, c’est fini. J’ai rendu tout mon jus, je n’ai plus rien. Il ne me reste plus qu’à commencer une collection de trombones et acheter toutes les saisons de Derrick. Je soupire, je mélancolise…
Ha ! C’était le bon temps, il y a quinze jours, quand j’écrivais des histoires, j’étais jeune, j’étais libre, j’étais born to be wild… Tout ça, c’est terminé… Et puis, un matin, je croise un homme à la boulangerie et je me dis que sa moumoute doit être en poil de yéti. Forcément, avec cette texture et cette couleur… Il se la fait envoyer par un coiffeur spécial qui a ouvert un salon de coiffure tout en haut de l’Himalaya. Il n’a qu’un seul client, évidemment et…
Dans tes albums, dans tes billets sur ton blog, tu as l'air d'avoir un humour à toute épreuve : comment réussis-tu à transmettre ta bonne humeur dans ton écriture, il y a une technique ou c'est naturel ?
Depuis toujours, je vois avec un miroir de sorcière, celui qui déforme. Je ne sais pas si c’est homologué par les ophtalmos ni si ça se soigne. Quand je pleure, je me « vois » avec la goutte au nez, les yeux de lapin russe, le mouchoir en confettis humides. Lorsque je ris, je me dis que j’ai vraiment beaucoup de dents, que je plisse tellement les yeux que je dois ressembler à un kilt, que mon rire est si raffiné que je ne ferais pas tache dans le film « Gorilles dans la brume ». Ca m’a toujours aidée à dédramatiser, à décaler légèrement les choses, à prendre un peu de distance. J’essaie parfois de créer des textes plus poétiques, tendres ou mélancoliques, mais ce n’est jamais aussi bon que ce que j’ai lu grâce à d’autres… Et puis, rire, faire rire, ça passe directement dans le sang, dans le mien, et, je l’espère, dans celui des enfants…